1036906-gf.1257700516.jpg« Ce qui est extraordinaire dans nos pays c’est qu’ils n’ont rien d’extraordinaire. On les par­court sans jubilation, comme on vit. Disneyland épate son pigeon. Les grands sites touristiques offrent des mondes et des merveilles. Ici, rien. Une étendue banale, même pas judicieusement éclairée. Assez vallonnée, néanmoins, pour ne pas être tout à fait ennuyeuse. Très peu de res­cousse à l’horizon, aucune distraction. Une barre de sapins, une échancrure dans le schiste, un léger trouble dû à la brume qui monte d’une rivière invisible. Quelques arbres tordus dans des postures inouïes améliorent, certes, l’ordi­naire, mais sans le rendre le moins du monde exceptionnel. Pas d’altitude, pas d’attitude. Il neige moins qu’ailleurs. Il fait moins froid qu’ailleurs. Il y fait moins chaud aussi. On y voit moins loin. Pas de ruines illustres. Pas de che­mins des fées. Pas d’attractions naturelles. Pas de pittoresque. Juste un pays. Avec des gens. Peu nombreux, du reste. Une troupe de sangliers traversent la plaine. Ils ne vont nulle part. Ils sortent d’un bois pour entrer dans le bois d’à-côté. Un peu d’eau soutenant la thèse de trois canards. Un geai qui piaille au-dessus du fossé. »

hmorganlettrine2.1257700567.jpgCela pourrait être chez vous ou chez moi, quelque part dans la France profonde, celle des bars sinistres à l’heure digestive et des monuments aux morts oubliés – même des pigeons. En vrai, il s’agit des Ardennes comme les voit un écrivain qui n’investit pas les plateaux télé, un écrivain qui travaille: Franz Bartelt. Ecrivain notoirement méconnu comme l’était Vialatte. C’est-à-dire suivi par une poignée mais ignoré du plus grand nombre. Franz Bartelt vient de commettre en Folio Gallimard 2€ un Petit éloge de la vie de tous les jours parfaitement intelligent et juste, avec une teinte de nostalgie qui est simplement la marque de son humour timide. A le lire, l’ordinaire des jours atteint au sublime, le marasme ambiant frôle le frisson métaphysique. Grandiose, indispensable. Le chapitre « Le jour de l’attente  » est définitif. On lira avec profit ses nouvelles (Le bar des habitudes et Pleut-il?) où l’on retrouve son style tendre et cruel et ces fulgurances faites de perles de langage et autres visions saugrenues*. Bartelt ça sonne un peu comme Bartleby, tiens…

*Le dilettante a publié quelques textes délectables où la mélancolie voile toujours les images et les enchaînements cocasses.

Illustration: document Gallimard

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  1. une souris verte says:

    Je m’en vais de ce pas, par l’odeur alléchée, me délester de 2 euros.
    Merci encore pour ce blog intelligent, spirituel et toujours d’une esthétique incontestable !

    Merci! 🙂

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Patrick Corneau