zevs-arrested-over-liquidated-chanel-sign-01.1254574520.jpg« Chez nous, en Amérique, pour autant que j’en juge, on s’abêtit à vue d œil. Quand on pense à toutes ces universités qui organisent des cours de remise à niveau sur des connaissances censées être acquises en troisième! À East Orange, il y a bien longtemps qu’on n’enseigne plus les auteurs de l’Antiquité. Les élèves n’ont jamais entendu parler de Moby Dick, alors vous pensez s’ils l’ont lu!
(…) Il y a des années, le niveau était excellent, au lycée d’East Orange. Les élèves qui en sortaient, surtout dans les sections d’élite, n’avaient que l’embarras du choix pour entrer à l’université. Ah, si vous me lancez sur ce sujet… Ce qui est arrivé à Coleman, avec ce mot de « zombies », s’inscrit dans le même échec colossal. Du temps de mes parents, et encore du mien et du vôtre, les ratages étaient mis sur le compte de l’individu. Maintenant, on remet la matière en cause. C’est trop difficile d’étudier les auteurs de l’Antiquité, donc c’est la faute de ces auteurs. Aujourd’hui, l’étudiant se prévaut de son incompétence comme d’un privilège. Je n’y arrive pas, c’est donc que la matière pèche. C’est sur­tout que pèche ce mauvais professeur qui s’obstine à l’enseigner. Il n’y a plus de critères, monsieur Zuc­kerman, il n’y a plus que des opinions. »
Philip Roth, La tache, traduit de l’américain par Josée Kamoun, Gallimard, 2002 (Prix Médicis étranger 2002).

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Ce propos est adressé à Nathan Zuckerman (l’alter ego de Philip Roth) par Ernestine, la sœur de Coleman Silk, professeur de lettres classiques et ancien doyen de la petite université d’Athéna, accusé à la veille de sa retraite d’avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants (il a appelé « zombies » trois afro-américains absents à son cours). Face à l’acharnement barbare de ses « chers collègues » pour le faire tomber, Coleman préfère démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l’innocenter (descendant d’esclaves, il est métis alors qu’il s’est toujours présenté comme Juif américain).

Au-delà du terrifiant constat d’échec de l’éducation évoqué dans cet extrait (l’épisode est situé à la fin des années 1990 mais peut aisément être transposé à notre actuel système éducatif), ce grand roman nous interpelle sur la question des origines, de l’identité et des fantasmes de pureté (« la tache » c’est l’obsession du « convenable ») qui hantent l’inconscient de nos sociétés.
A lire, relire.

Le dernier roman de Philip Roth Exit le fantôme vient de paraître chez Gallimard (voir l’interview accordée au journal Le Monde).

Illustration: installation de l’artiste Zevs

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Patrick Corneau