hmorganlettrine2.1252418103.jpgLorsque j’avais visionné cette vidéo, il y a quelques semaines, la radicalité du ton et des propos m’avaient surpris chez un écrivain qu’on loue pour son caractère affable, la discrétion et la subtilité de ses écrits. J’ai compris en abordant le chapitre LXVIII de « La barque silencieuse » que le regard amène n’est que le masque d’un tempérament inquiet et volcanique, qu’en fait, Pascal Quignard est un authentique dissident, c’est-à-dire l’un des rares athées qui persistent (encore) dans ce monde. La vidéo comme les thèses présentées ci-après montrent par ailleurs que l’héritage de mai 68 n’a pas été « liquidé une bonne fois pour toutes », qu’il persiste et féconde les têtes bien faites de la république des Lettres…

CHAPITRE LXVIII

Les quatre thèses

Les quatre thèses.
Première thèse. Le retour des dévots requiert le retour des athées. (Il n’y a que quand l’incrédulité gagnait que l’athéisme pouvait passer pour inutile.)
Deuxième thèse. La réapparition des guerres de religion sanglantes impose leur contestation irréligieuse.
Troisième thèse. L’irrationalisme de la fin du XXe siècle entraîne une nouvelle cure de désintoxication. (C’est Marx qui avait écrit en janvier 1844 ces deux phrases elles-mêmes si étranges dans leur formulation dans la mesure où il les juxtapose: La religion est le soupir de la créature opprimée. Elle est l’opium du peuple.)
Quatrième thèse. Le puritanisme sexuel revenant, les libertins doivent revenir. (Seul ce qui est sexuel est le vrai revenant. On doit au sommeil un réveil. Le sexuel est la seule source « vivante » de tous les corps. Et c’est l’érection sexuelle qui réveille le corps au terme du rêve.)

Louise Michel lors de sa comparution devant le Quatrième Conseil de Guerre a expliqué de façon radicale: « Libérés, libertins, libertaires, libres, Mes­sieurs, ne distinguez pas. Nous sommes athées car nous souhaitons être libres. »

*

Les quatre définitions.

La neutralité consisterait à ne pas prendre parti dans une guerre mais l’athéisme est une guerre.

La tolérance consisterait à ne pas prendre parti entre les religions mais en égalisant mystérieusement les fois entre elles la simple incroyance les valide toutes.

Dans l’athéisme la lucidité s’arrache sans espoir possible, sans paix possible, à la crédulité. (Il s’agit d’une libération sans fin, inachevée, inachevable, impossible, infinie.)

Le désabusement doit être préféré à la croyance et à la vérité.

*

La lucidité peut être considérée comme une valeur plus haute que l’illusion. Mais, quoi qu’il en soit et mal gré qu’il en ait, le désir de croire renaît comme le sommeil ou comme la soif, ou comme l’attachement de l’amour, ou comme l’envie d’être heureux.

Le perdu fait appel à l’ersatz, la faim au rêve, le cerveau au langage, le parleur au mensonge comme le petit à la mère.

Illustration vidéo: entretien avec Sylvain Bourmeau à l’occasion de la parution de « La barque silencieuse » sur ww.mediapart.fr

  1. anne says:

    parfois on se demande ce qu’apporte la lecture d’un livre au-delà du simple plaisir à le lire ; eh bien…pour Quignard et sa barque c’est le sentiment de se sentir moins seul dans ses propres pensées et celui de l’apaisement

    Comme c’est bien dit! 🙂

  2. Rodrigue says:

    Monsieur Pascal Quignard me semble rassembler deux domaines qui pour moi ne peuvent pas ne faire qu’un: le domaine public et la vie privée.
    Pour moi la tolérance ne valide aucunement la religion, elle se borne, au contraire, à se rendre compte que chaque humain ne peut être jugé sur un seul critère. Elle admet tout simplement l’altérité chez l’humain. Elle présuppose que « quelque chose nous échappe »chez autrui
    Les religions, l’athéisme sont de l’ordre des convictions personnelles. Et c’est bien par perversion que les religions deviennent actives dans la vie publique et source de guerre.

    Quel est l’intérêt de se mettre au même niveau que son adversaire! Pourquoi en face d’un fanatisme religieux opposer un athéisme militant ? A ce jeu-là on est sur de perdre, et en plus de se déshonnorer

  3. Pour information, nous recevrons Pascal Quignard dans notre librairie L’Arbre à Lettres Denfert (14 rue Boulard, Paris 14eme) le mercredi 23 septembre à 19h. L’occasion d’échanger sur la Barque silencieuse et autres derniers royaumes…

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Patrick Corneau