hmorganlettrine2.1248942805.jpgipod-for-baby1244796347.1248942840.jpgDans Les perles de Vermeer*, Gustaw Herling consacre un passage de son Journal écrit la nuit à Frate Salimbene de Adam (1221-1288), moine franciscain disciple de Joachim de Flore, qui fut le plus grand chroniqueur latin du Moyen Age. Décrivant le style du Chronicon, Herling écrit : « Des passages entiers de sa Chronique sont brochés de citations bibliques, comme si chaque événement historique décrit dût se refléter dans le miroir des Écritures. Cependant le ton n’est ni solennel ni pompeux (…) Il arrive aussi que, sous sa plume, un fait réel confine à l’apologue. Par exemple, Salimbene s’occupe des ‘bizarreries de l’empereur Frédéric II**, qui étaient au nombre de sept’. La deuxième ‘bizarrerie’ consistait en ce que l’empereur voulût vérifier quelle langue parleraient les enfants qui, à la naissance et quelque temps après, n’entendraient pas le langage humain. Il ordonna donc à des nourrices de leur donner à manger, de les baigner, de changer leurs langes, de les vêtir et de les installer pour dormir;, sans jamais leur adresser la parole. Voici la vérité qu’il comptait découvrir de cette façon: les enfants parleront-ils spontanément en hébreu, qui était la première langue de l’humanité, ou en grec, en latin, en arabe, ou dans la langue de leurs parents? Il s’était donné du mal pour rien, car les enfants commencèrent à mourir un à un; enfin ils moururent tous. ‘Car la vérité, c’est que les enfants ne peuvent vivre sans la parole, sans le sourire et les caresses de leurs nourrices.’ » Et Herling de conclure: « La vie humaine est une vie du Verbe et par le Verbe. » Ecce homo.

*Les Perles de Vermeer : journal écrit la nuit, 1986-1992, Seuil, 1999.
** Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) régna sur le Saint-Empire romain germanique de 1220 à 1250.

Illustration: photographie www.journaldugeek.com

  1. nomade says:

    Etrange histoire. Et si l’on n’avait jamais regardé ces enfants tout en leur parlant, seraient-ils morts aussi ?

    Votre remarque me laisse perplexe: en transposant un peu, sur le web, on (se) parle, sans (souvent) jamais être « regardé ». Sommes-nous plus vivants? 😉

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Patrick Corneau