Lundi 30 janvier 18049782070124039.1236871089.jpg

Sur tout le chemin, entre Orléans et Bordeaux, on est importuné dans chaque petite ville, à chaque poste. Partout une foule femmes insupportables vendent des couteaux. Dès que l’on eut réservé notre chambre le soir, il ne se passa pas un quart d’heure sans que trois ou quatre femmes entrent ave un tas de couteaux (qu’elles portent chacune dans un sac confectionné à cet effet), et qu’elles déballent leurs marchandises en dépit de toutes nos protestations et continuent à les offrir pendant des heures. A chaque station on peut être certain de se voir proposer tout un assortiment de couteaux et de ciseaux; et dans la région de Tours, on vous tend par l’autre vitre de la voiture des paniers de prunes et de poires séchées. Cela prouve combien les couteaux se vendent mal par ces temps de guerre; ils sont tous très bien travaillés et c’est d’ici qu’on en approvisionne toute la France. Arthur Schopenhauer, Journal de voyage (traduction de Didier Raymond)

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Etant né dans une petite ville à mi-chemin entre Orléans et Bordeaux, connue pour sa coutellerie traditionnelle, j’ai cru reconnaître celle-ci à travers le récit peu amène qu’en fait le jeune Schopenhauer: l’œil est acéré et, malgré ses 16 ans, on sent déjà en lui l’humeur acariâtre et le dégoût nihiliste du philosophe à venir. Ce qui me frappe par ailleurs, est que cette petite ville avec ses essaims de femmes quémandeuses apparaît comme une bourgade du tiers-monde. Ce qu’elle devait être assurément, en ce début du XIXème siècle sous la poigne (la botte?) de Napoléon.

Illustration: Arthur Schopenhauer le 11 juin 1852 d’après un daguerréotype. Couverture du remarquable choix de textes proposés et préfacés par Didier Raymond et illustrés par Frédéric Pajak: Schopenhaueur dans tous ses états, L’Arbalète – Gallimard, février 2009.

  1. Schopenhauer, hérissé par ce harcèlement dont vous montrez un catalogue éloquent d’instruments, aurait pu lire un de ses contemporains qui mourut quand lui-même avait onze ans : Lichtenberg.

    Et tomber par hasard sur l’un de ses aphorismes célèbres : « Un couteau sans lame auquel manque le manche ».

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Patrick Corneau