ws1.1221808200.JPGVous arrive-t-il de rester scotché devant une série télé bien bébête, de dévorer chez votre coiffeur les derniers potins « blingbling », d’errer des heures dans les menus de votre portable? De regarder votre Carte Bleue comme une image pieuse le jour des soldes?
Ces futilités douces comme un macaron Ladurée portent un même nom: tittytainment. Ce terme inventé par Zbigniew Brzezinski, qui fut conseiller pour la sécurité nationale auprès de Jimmy Carter, est une contraction de entertainment (divertissement) et de tits (seins en américain). L’évocation des seins se réfère ici davantage à leur fonction nourricière qu’érotique. L’idée de Brzezinski est que, dans un monde où 20 % de la population mondiale suffira à faire tourner l’économie, le problème des élites au pouvoir consistera à trouver la bonne gouvernance pour que les 80% restants – les gâtés de la Terre – oisifs et déprimés par une vie privée de sens, se tiennent tranquille. Par exemple en dosant le pain et les jeux (les Jeux olympiques et la culture footballistique sont une bonne affaire). Un cocktail de divertissements télévisés abrutissants et de pouvoir d’achat suffisant permettrait, selon lui, de maintenir la bonne humeur (le fameux « moral des ménages ») au sein de la population nantie ET frustrée de la planète.
Marin de Viry a bien décrit cette « aspiration démocratique à l’abrutissement »*: « (…) si vous additionnez les embouteillages, la famille, les injonctions du monde moderne à être à la fois perfor­mant et érotique, et les agressions cumu­lées de tous les parasites qui traînent, ça ne passe qu’à la condition de s’abrutir. Quelques rares individualités tentent de surnager en prenant des partis extrêmes, comme prononcer des voeux ou s’oublier dans l’amour de l’humanité. Mais ils se demandent parfois pourquoi, douloureu­sement. Ils payent cher une angoisse sans objet que ne connaissent plus les abrutis. L’abrutissement est une solution de masse. Il est temps de lui trouver un cadre idéologique** qui le légitime. »
C’est précisément ce que propose Brzezinski.
Alors, le tittytainment, ça vous gratouille, ça vous chatouille ou ça vous titille?

*Le matin des abrutis, JC Lattès, 2008.
** Peter Sloterdijk a parlé de « fascisme de divertissement », car selon lui il  existe un lien clair entre le divertissement de masse et le management du ressentiment de type fasciste.

Illustration: photographie de W/S/Flickr

  1. Je suis en total accord avec votre texte (comme beaucoup d’autres de vos lecteurs j’en suis sûre…) J’ai l’impression d’un réveil des gens quand même, ils se rendent compte de quelque chose…Ne croyez-vous pas?
    Juliette

    Oui, il y a un réveil, comme si une résistance se levait et voulait donner raison à la phrase de Jean Baudrillard: « Si le troupeau ne veut plus brouter, comment faire son beurre? » 😉

  2. Dom A. says:

    Il y a un moment où il faut bien admettre que si des gens cultivés, ayant les moyens intellectuels de considérer leur condition et d’intervenir, continuent de se laisser aller à la facilité de groupe, la pensée unique quelle qu’elle soit, nous avons affaire à des cons, une masse de cons, incapable de contradiction.
    Le fascisme n’est pas né en un jour, une immense majorité s’y sent à l’aise, tant pis pour eux. Certains ont réagi au bon moment, ont fait leur devoir, si j’ose dire. Tant mieux.

  3. Thomas says:

    C’est le mot le plus effrayant que je connaisse. Quand je suis tombé sur sa défintion et l’histoire de sa naissance sur wikipedia, je me suis demandé si ça pouvait être vrai.
    Je me suis demandé s’il était possible que lors d’un congrès de cette importance, les chefs d’état qui sont – rappelons-le – censés servir le peuple, ou au moins oeuvrer dans l’intéret du plus grand nombre puissent regarder dans les yeux 80% des enfants et jeunes adultes (étant donné que leur « idée » concerne un futur proche), et leur promettre comme Avenir un abrutissement de masse.
    Notre gouvernement aurait pour projet de rendre dépendants à l’héro 80% des enfants de maternelle, que je ne trouverais pas ça plus choquant.
    Comme quoi, pas la peine d’imaginer des grans complots, ou de ressortir des « on nous dit rien »… Ben si, justement, on nous dit! nos chefs d’Etats nous disent clairement qu’au problème suivant: 4 personnes sur 5 vivront (vivent déja?)une vie vide de sens, la solution envisagée est d’abrutir les gens au point qu’ils ne s’en rendent pas compte.
    Pour moi, mais je peux me tromper, vivre une vie vide de sens, conduit irrémédiablement à être touché par la dépression. Je considère donc que nos chefs d’états condamnent 4 personnes sur 5 à cette grave maladie et que ce tittytainment n’est ni plus ni moins qu’un cocktail antidépresseur/anxiolytique. Et je dis bien « condamnent » car prévoir un médicament pour la vie, c’est reconnaitre d’avance qu’on ne peut pas guérir.
    Il s’agit d’un crime contre le peuple

    Merci pour votre commentaire – très lucide – avec lequel, bien entendu je suis entièrement d’accord. 🙂

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Patrick Corneau