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Dans le beau roman* familial où il observe à Etretat les transformations de la bourgeoisie en vacances, Benoît Duteurtre rend justice avec tendresse et humour à ce que fut le monde social de son enfance. Ayant retrouvé une cousine de sa grand-mère dont le port et l’élégance naturelle à quatre-vingt-sept ans l’impressionnent, il commente avec ces mots :
« Tout en l’écoutant parler, je me sentais à la fois heureux, triste, ému d’imaginer que cette femme représentait l’ultime facette d’un style fragile et presque disparu.
Selon cette science sociale oubliée, c’est la convention qui rend l’existence intéressante comme un morceau de théâtre. Le fait de porter des bijoux pour déjeuner, de se montrer aimable et souriant, d’être attentif aux autres et de s’exprimer clairement, tout cela donne une forme délectable au temps qui passe. Aller au musée, se promener dans les jardins publics, se retrouver à la messe du dimanche, prendre le thé, parler du dernier film ou du dernier roman: autant de mornes habitudes nous rappellent l’équilibre savant d’un ancien art de vivre. Même la fameuse hypocrisie bourgeoise devient une qualité quand elle consiste à masquer ses tourments, à laisser la part d’ombre dans l’ombre, plutôt que de donner le champ libre à la sincérité et aux conflits. Voilà toute une esthétique du quotidien que nous ne connaissons plus guère, depuis que nos vertus s’appellent franchise et naturel. Pourtant, le plus cruel tableau des mœurs, peint par Fey­deau ou Guitry, comporte cette sophistication réjouissante, appliqué à l’art de tromper sa femme ou son mari; comme si le savoir-vivre était là pour atténuer la brutalité de la vérité et du crime. En ce sens, le mensonge bourgeois marque un point admirable de la civilisation. »

*Les pieds dans l’eau (Gallimard, 2008), livre qui, disons-le, défend une conception de la littérature qui a peu à voir avec le crin-crin de Madame Angot nous contant son crac crac avec le Doc…

Illustration: photographie d’Aurélia Frey (extraite de l’album « Maison bourgeoise« )/Flickr

  1. metalogos says:

    Quand le manque de repères nous condamne à la nostalgie de ce que nous n’avons pas vécu….
    N’est il pas préférable de construire une « esthétique du quotidien » ancrée dans le présent ?

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Patrick Corneau