3565860-lgjpg.1204373166.gifHier j’évoquais la citation. J’avais défendu son usage il y a un an environ et notamment le plaisir qu’il y a à faire se croiser, rencontrer, dialoguer en une polyphonie, si possible bien orchestrée, les voix multiples qui nous ont interpellé dans nos lectures. J’ai trouvé dans le Magazine littéraire de février, un allié en la personne d’Enrique Vila-Matas, ce « malade de littérature » dont les livres sont saturés de citations célèbres ou inventées par lui-même. Extraits (et triple mise en abîme…):
« J’aime les citations, ces lignes étrangères que nous incluons dans nos propres textes. Je ne comprends pas ceux qui les détestent et affirment stupidement que ‘pour écrire, il ne faut rien devoir à personne’. Amoureux des citations j’aimerais que quelqu’un découvre que j’ai toujours cherché mon originalité dans l’assimilation d’autres masques, d’autres voix. Je me souviens de la préface écrite par Susan Sontag pour Vaudou urbain d’Edgardo Cozarinsky (éd. Bourgois, 1989): ‘Son emploi généreux des citations en forme d’épigraphes rappelle les films brodés de citations de Godard. Dans le sens où Godard, cinéaste cinéphile, faisait ses films à partir de, et sur son histoire d’amour avec le cinéma, Cozarinsky a fait un livre à partir de, et sur son histoire d’amour avec certains livres.’
J’ai été formé culturellement à l’époque de Godard, quand quelqu’un me reprochait les citations de mes romans, j’étais atterré par l’ignorance de celui qui me réprimandait au sujet de ce qui était pour moi la chose la plus normale du monde. De plus, je ne pouvais oublier des exemples extrêmes, tel Le Livre des amis d’Hugo Von Hofmannsthal (éd. Maren Sell, 1990), recueil d’aphorismes qui, à côté de textes de l’auteur, insère des ‘voix amies’: une centaine de maximes étrangères s’intégrant dans la vision du monde de Hofmannsthal lui-même.
Fernando Savater dit que les personnes qui ne comprennent pas le charme des citations sont en général celles qui ne savent pas évaluer de façon juste et équitable l’originalité. Parce que c’est en citant qu’on peut et doit être vraiment original. C’est pourquoi l’un des écrivains les plus authentiquement originaux du siècle dernier, Walter Benjamin, a proposé des livres composés uniquement de citations, c’est-à-dire vraiment originaux… Et je suis tout à fait d’accord avec Savater quand il dit que les ennemis des citations connaîtront les destins les moins souhaitables pour un écrivain: le respect des usages et la convenance, autrement dit les pires variantes du lieu commun. Citer, c’est respirer la littérature pour ne pas étouffer parmi les lieux communs respectueux qui viennent à l’esprit de celui qui s’obstine dans cette vulgarité suprême: ‘Ne rien devoir à personne.’ Car, dans le fond, celui qui ne cite pas ne fait que répéter, mais sans le savoir ni le vouloir. ‘Ceux qui citent, dit Sava­ter, assument en revanche sans problèmes leur destin de princes ayant tout appris dans les livres (nouvelle citation cachée: larvatus prodeo…).’
Nous écrivons toujours après d’autres et c’est peut-être pourquoi j’ai si souvent poursuivi – à l’aide de citations triturées ou inventées qui contribuaient à créer des sens différents – une image de moi faite de traits étrangers, fragmenté des textes et disséminé leurs traits pour les rendre méconnaissables, comme on maquille de la marchandise volée. C’est ainsi que j’ai avancé, me suis frayé un chemin. Rien ne rassure autant qu’un masque. Mais il est vrai que j’avais l’impression de me corrompre en construisant mon style à partir de pas étrangers. Larvatus prodeo, disait Descartes. Moi? C’est une image que je poursuis, rien de plus. »
(Traduit de l’espagnol par André Gabastou)

Illustration: photographie anonyme

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Patrick Corneau