michaellynch.1201619657.jpgJe parlais récemment de l’esprit de division et du florilège de minuscules embarras dont il empoisonne nos vies. Ainsi en est-il du moral des ménages (toujours en baisse) et du « déprimisme » concomitant: cette couche épaisse d’angoisse inutile dont les sires à la lisse figure du 20 heures semblent prendre plaisir à badigeonner la pauvre humanité souffrante. Cette chappe qu’ils nous assènent a sa source dans le SOUCI, occupation favorite de nos contemporains dont les sombres et vaines macérations composent une lourde pâte nauséabonde qui fait des rues des villes un théâtre d’ombres vivantes avançant avec peine sous la douleur et l’accablement. Goethe (déjà) en faisait un des ennemis métaphysiques du docteur Faust: « Alors que l’imagination, d’un vol hardi et plein d’espérance, s’élance ordinairement bien loin jusqu’aux choses éternelles, il lui suffit à présent d’un petit espace, lorsqu’au gouffre du temps tout bonheur fait naufrage. Le souci, alors, se niche bien vite au plus profond du cœur, il y cause des douleurs secrètes, il s’y balance, inquiet, troublant joie et repos; sans cesse il prend de nouveaux masques; il revêt toutes les apparence: maison, richesse, femme et enfants, feu, eau, poignard, poison; tu trembles devant mille dangers qui ne t’atteignent pas, et il te faut pleurer sans cesse sur des biens que tu ne perds pas. » (Faust, partie 1, scène 1, traduit de l’allemand par Gérard de Nerval).
Cher souci! Précieux petit parasite! Que de services ne rend-il pas à Dame Bêtise en empêchant l’esprit de s’envoler, l’imagination de scintiller! Quel bonheur qu’il étreigne de son baiser mortel de sérieux et graves personnages, les gonflant de réflexions inutiles, d’appréhensions démoralisantes, de pressentiments funestes qui paralysent leur action, tandis que les vrais dangers qu’ils courent ne suffisent pas à les porter au sommet d’eux-mêmes. L’humanité serait intenable sans cette glu: quel allié précieux que le souci pour maintenir les hommes en esclavage, tremblant pour leur voiture, la place de stationnement qu’ils ne vont peut-être pas trouver, l’écran LCD qui ne sera peut-être plus en stock, leur assurance vie dont le taux n’est pas garanti, leur retraite qui va s’effriter, l’avenir de leurs enfants qu’on a volé…

Illustration: « Mother’s concern », photographie de Michael Lynch

  1. MAHO says:

    Cher Lorgnon, c’est pour vous

    « Des mots? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous

    épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes,

    des mots, ah oui, des mots! mais des mots de sang frais, des mots qui sont

    des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des

    feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes…. »

    Aimé Césaire, in Cahier d’un retour au pays natal

    Seuls les grands poètes sont capables d’évoquer la puissance des mots, leur « charme » mais aussi leurs excès parfois, ainsi Yves Bonnefoy, dans Le Grand Espace, note que « le peintre rassérène les mots (…) apaise l’angoisse du poète ». 🙂

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Patrick Corneau