couchensemble.1204043289.jpgAppelons-la Clélia. Clélia est une femme analysée. Si vous ne l’avez pas senti à son regard, elle vous le dira tôt ou tard dans la conversation. Et le répétera même au moment le moins opportun. Clélia est entrée en analyse comme on entre en religion. Il y a désormais deux mondes et vous faites partie de l’autre. Insensiblement, imperceptiblement, Clélia vous amène à ce constat que vous êtes impropre à tout usage. Il vous manque quelque chose. Plus que cela, c’est un handicap qu’elle vous incite à reconnaître, puis à déplorer et pour lequel vous devrez nourrir une forme de culpabilité. Car quoi que vous fassiez ou disiez, vous être responsable et coupable. De quoi? Même Kafka ne saurait le dire. Mais vous l’êtes, c’est certain. Avant de vous serrer la main (« j’embrasse pas »), Clélia a une manière particulière de jeter son grand cabas de fille sur l’épaule, contre la hanche. Nous ne dévoilerons pas les mystères que renferme cet appendice extérieur dont on ne sait si c’est une arme ou un bouclier. Quand Clélia vous parle, son regard est frontal, direct, glaçant mais pas distant. Comme un peintre de natures mortes. Se faire un visage « ouvert » pour lubrifier les rouages de la conversation serait déjà baisser la garde. Visage « botoxé » par le mental. Il faut comprendre Clélia avec la tête car elle use souvent de sophismes qui sont l’astuce de ceux qui peuvent. Ceux qui comprennent les autres avec leur personne entière en sont pour leur frais. Clélia est anormalement sérieuse et concentrée; si son sourire donne envie de sourire avec elle, c’est pour vous rassurer, sinon on pourrait imaginer qu’elle a des « soucis », ce qu’elle ne veut en aucun cas. Si votre perspicacité surprend ses défenses, alors les clapets se ferment dans un grand bruit métallique. Son expression se fige et la lumière de son regard s’évade, vous renvoyant à votre « handicap ». Clélia est la preuve vivante des effets secondaires de la psychanalyse: sous prétexte de reconstruction du moi, quelques caciques grassement rémunérés ont anéanti chez un être fragile, sensible, peut-être un peu paumé donc absolument humain (trop humain?) toute aptitude à la tendresse ou à la compassion. Mesquinerie, égoïsme, sottise arrogante, absence complète de sens moral: Clélia est devenue une redoutable machine de guerre bien adaptée à son époque. C’est un sujet capricieux et imprévisible. Certains diront qu’elle est « libre » car elle a su se dégager de cette responsabilité historique, de cette responsabilité terroriste aussi épuisante que vaine de la vérité, du salut et de l’amour que vingt siècles de morale judéo-chrétienne ont mis dans nos têtes, nos cœurs et nos sexes. Pour cela elle applique à la lettre le programme du bon docteur Lacan: « Plus vous serez ignoble, mieux ça ira. » Et cela va beaucoup mieux pour Clélia qui, lorsque son analyse didactique sera terminée, pourra apposer à côté de la porte de son immeuble la jolie plaque de cuivre qui l’habilitera à propager ce singulier dysangile.
Je ne vous dirai pas ce que faisait Clélia le dimanche 6 mai 2007.

Illustration: « Sigfreudian Ensemble » mobilier pour psychanalyste vendu $12,125.00 par la firme Analytic Couch Company, Seattle.

  1. gmc says:

    UN SANGLIER CHRYSALIDE

    Chaque portrait est un paysage
    Reflet intérieur du regard
    Qui peint les miroirs
    Sur des divans ou ailleurs
    Chaque portrait est l’image
    D’une célébration
    Ode aux nuées obsidiennes
    Qui déforment la pluie verte
    Dans des transmutations sans fond
    Autre qu’inventions
    Peindre les chrysalides
    N’est pas vol du papillon

  2. MAHO says:

    Clélia a fait comme elle a pu avec « le trouble de penser et la peine de vivre ».

    Elle s’est enfermée dehors. Tant pis pour elle. Sans doute un problème de Clé

    et de serrure……

  3. « Plus vous serez ignoble, mieux ça ira »

    Et oui, on a pu dire des tas de choses sur Lacon, qu’il était cupide, que l’opacité de son écriture cachée un vide métaphysique abyssal etc… Mais, pour moi, un phrase comme celle-là vaut tous les essais d’un Heidegger, d’un Merleau-Ponty ou d’un Sartre… L’hideuse, l’insupportable vérité parvient parfois à perçer à la surface… Lacan a nettoyer le sol pour la rendre un instant visible… Plongée perspectiviste…

    Chapeau Lacan
    Et lisez Les écrits même si vous croyez n’y rien comprendre

    http://michaelpalatan.blog.lemonde.fr

  4. Paloma says:

    Visiblement touché par l’expérience analytique, l’exemple de Clé-il-y-a vous heurte. Ne vous inquiétez pas, tout est une question d’individu, toute analyse n’est utile que subjectivement parlant…
    On peut noter, tout de même, que Lacan et sa « science » ne vous laissent pas indifférent et, croyez moi, c’est déjà ça….

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Patrick Corneau