C’était l’époque où mes grands-parents étaient de ce monde. Où la langue était partagée entre les générations et servait à construire un monde commun. Epoque où allongé sur une plage on attendait « que l’eau monte », où l’on jouait au croquet sous le soleil d’après-midis éternels, où il y avait de grandes tablées rieuses pour les communions, où l’on faisait de la luge au Mont-Dore en bonnet à poil, où les floralies de la Tranche-Sur-Mer pouvaient faire excursionner toute une famille. Jours enfuis où ma grand-mère sortait d’une Traction avant Citroën noire pour qui, pour quoi? Je me demande parfois comment cette même grand-mère qui avait tant de mal à prononcer le mot Pschitt (« Schpitt » répétait-elle devant nos visages hilares) se débrouillerait avec le capital-risk, le subprime, la convivance et la résilience, le buzz, le people-ready?
C’était l’époque où mon père rassemblait ce monde commun et le célébrait dans le viseur d’une caméra Bolex Paillard… L’herbe était verte et pleine de boutons d’or. Il n’y avait pas d’écrans à regarder. La lumière qui éclairait le monde semble plus claire, la vie plus belle. Quelques visages, quelques voix nous manquent.

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Illustrations: extraits de chroniques familiales sur films Kodak 8mm ©Lelorgnonmélancolique (gratitude filiale à l’oeil derrière le viseur)

  1. Posuto says:

    Wahhhh…
    On se souvient. Et aussi d’odeurs. De fous rires. Et de la peinture bleu pâle de la 404 de papa qui s’écaillait.
    Kiki (on fait comment les smileys nostalgiques ?)

  2. Leila Zhour says:

    Un instant de nostalgie partagée en éveille d’autres, différents, très éloignés même mais dont on devine que l’intensité est la même.
    Hier, c’était quand il faisait plus jeune, que les choses semblaient plus neuves.
    Que sera la nostalgie de nos enfants ?
    LZ

  3. france says:

    C’était l’époque des tractions avant et des pschitt orange, de l’Ambre Solaire et de Pierrot Gourmand, de marabout-bout d’ficelle et de clic-clac-merci-Kodack,
    on les aime tant nos “je me souviens”…

  4. Nadcoz says:

    Mammgoz
    C’était l’époque ou mes grands-parents étaient de ce monde. Où la langue n’était déjà plus partagée entre les générations et instaurait une distance. Epoque où allongé sur une plage on attendait “que l’eau monte”, où le carré chocolat de quatre heures avait le goût salé des lèvres après le bain et fondait sous le soleil de l’après-midi même entouré de crêpe au beurre. Où il y avait de grandes tablées rieuses pour les communions, où l’on ôtait le patin des sabots pour mieux glisser sur les flaques gelées, où le marché de Paimpol le mardi pouvait faire excursionner toute la famille, où ce même jour de semaine ma grand-mère nous permettait de quitter les sabots pour les chaussures du dimanche pour qui, pour quoi ? Je me demande parfois comment cette même grand-mère qui avait tant de mal à parler le français se débrouillait avec la langue anglaise, seule langue des cousins de Jersey ? Aucun problème. Elle avait traversé le temps de sa vie à s’adapter. De la hutte en bois au fond des bois, seul logis des sabotiers lors de son mariage à sa maison à une pièce puis à notre appartement tout confort de Paris ; du breton sa langue des légendes et des gwerz du coin du feu au français imposé par les modernes de Paris.
    Même pays mais chacun son voyage.

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Patrick Corneau