lettres.1205001986.jpgUne curieuse expérience m’a donné récemment l’occasion de toucher cet « esprit de petitesse » dont je parlais il y a peu dans ce blog (9 février 2008). Le correcteur d’une maison d’édition m’a signifié que les nouvelles règles typographiques imposent de mettre des minuscules à des substantifs qui autrefois portaient la majuscule: l’université, le musée, l’art moderne, les beaux-arts, etc. Les majuscules « hérissent » le texte d’une manière constante, désormais considérée comme déplaisante: sonores, glorieuses, emphatiques, elles n’ajouteraient rien à la signification d’un mot si ce n’est la connotation d’une « conscience de classe ». Hiératiques, autoritaires, les majuscules tombent, remplacées par de sobres minuscules, modestes, sérieuses, serviables. De fait, il est plus facile d’accéder à des concepts ou des œuvres en minuscules que d’admirer dans la « crainte et le tremblement » les mêmes assortis de leurs majuscules, toujours un peu lointaines et jugées un peu trop discriminantes... Tout se passe comme si une loi énigmatique avait fait chuter les graves, provoquant l’essor corrélatif du léger, du maniable, du convivial, du prosaïque*. Ionesco appelait cela la « folie des petitesses ». Le roi se meurt, mais le roi est mort**. Autrement dit un concret sans poids, impondérable, sans différenciation, ultimement neutre a remplacé le réel en son royaume, reçu comme incongru, dérangeant, intempestif, grandiloquent…

* Quand la majuscule subsiste c’est pour transformer (contre monnaie sonnante) un nom noble et singulier en une marque utilisée à des fins marchandes (une « Picasso » Citroën, un « Louvre » à Abou Dhabi).
** Bientôt (déjà?) un « président de la république »?

Illustration: photographie de Raphael Lopez

  1. Les minuscules s’imposeraient – en fonction de l’image qu’il a donnée de la fonction – pour Nicolas Sarkozy.
    Mais l’Histoire de France y perdrait beaucoup : le « correcteur » s’apparente ici au « révisionniste ».

  2. Leila Zhour says:

    « Hé minus va ! »
    Voilà qui va bon train dans les cours de récréation. Si désormais les correcteurs se laissent corrompre par les mauvaises habitudes des internautes, c’est qu’on a véritablement basculé dans la cours des petits.

    Bien dit! 😉

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Patrick Corneau