6724869-lg.1200251906.jpgL’individu est dans une situation périlleuse, il le clame, il se plaint*, il réclame! Entendez-les, voyez-les, il n’y a que la première personne du singulier qui ne soit pas divisée: les « moi je » prolifèrent, dans la conversation comme dans les livres, dans les discours du Président de la république** comme dans le ressenti des « ados », comme si dans ce gouffre de médiocrité ressentie et innommée qu’est devenu notre monde, le moi et le je, petit club privé, avaient besoin de s’entraider, se prêter main-forte, et, à défaut de se multiplier, de s’additionner. L’esprit du « moi je » est l’antithèse de l’imagination généreuse, de l’infini: l’homme atteint ici une limite en usant de cette pathétique redondance. Les moyens lui sont ôtés d’aller au-delà, on l’a dépouillé de son pouvoir de transcender son « misérable petit tas de secrets », de s’extravaser vers un alter ego. Par le « moi je », croyant s’affirmer en se multipliant, il s’isole dans le centre de lui-même. Ecoutez-le dans la rue, bavard esseulé parlant à son téléphone plutôt que dans son téléphone, et quand il ne se parle pas, il est affairé à « personnaliser » sa messagerie (MA messagerie)…

* « La plainte est devenue la forme douce et socialisée de la haine » écrit Michel Schneider dans Big Mother, p. 153.
** Un « je » toutes les 17 secondes lors de son discours d’intronisation à la présidence, un quart de ses phrases commençant par ce mot…

Illustration: « Ego », photographie d’Apostolos Diamantis

Répondre à PosutoAnnuler la réponse.

Patrick Corneau