orsay.1203698862.jpgLes vacances d’Hiver. Comme à la Toussaint, on fait la queue. Non, pas devant les tire-fesses: devant les musées à Paris*. Beaucoup de gens, des provinciaux pour la plupart. Dehors, ils ont l’air plutôt gai. A l’intérieur des têtes d’enterrement. On les comprend: à Orsay, par exemple, on fabrique de la mort avec des morts. On a replacé dans un contexte qu’ils ont à tout prix essayé de fuir (les pompiers, Bouguereau, Meissonnier, Cabanel, etc.) des artistes aussi magnifiques que Courbet, Manet… Je pense au Maîtres Anciens** du cruel Thomas Bernhard:
“Les gens vont au Musée d’art ancien parce que cela se fait, pour nulle autre raison, ils viennent même d’Espagne ou du Portugal à Vienne et vont au Musée d’art ancien pour pouvoir dire chez eux, en Espagne ou au Portugal, qu’ils sont allés au Musée d’art ancien de Vienne, ce qui est tout de même ridicule, car le Musée d’art ancien n’est pas le Prado, ce n’est pas non plus le musée de Lisbonne, le Musée d’art ancien en est bien loin. Le Musée d’art ancien n’a même pas un Goya et il n’a même pas un Greco. (…) Naturellement il peut renoncer au Greco, car le Greco n’est pas vraiment un grand peintre, pas un des tout premiers, a dit Reger, mais ne pas avoir de Goya, pour un musée comme le Musée d’art ancien, c’est positivement mortel. Pas de Goya, a-t-il dit, cela ressemble bien aux Habsbourgs qui, comme vous le savez, n’avaient aucun jugement artistique. (…) Hé oui, les Habsbourgs ont exactement le goût catholique douteux qui est chez lui dans ce musée. Le Musée d’art ancien, c’est exactement le goût artistique douteux des Habsbourgs, ce goût esthète, repoussant.”
L’Art est devenu notre nouveau sacré, et la procession devant les tableaux un chemin de croix social qui ouvre sur une profession de foi à usage mondain: « 
Veni, vidi! » (je suis venu, j’ai vu!)

* Et devant le Salon de l’Agriculture, évènement qui a le mérite d’inverser la fameuse remarque d’Henri Monnier (« On devrait construire les villes à la campagne, l’air y est tellement plus pur « ) et où, outre les invectives de qui vous savez, on a pu entendre cette remarque délicieuse d’une petite fille: « Tiens, je croyais que les petits cochons avaient la queue en tire-bouchon?! ».

** Editions Gallimard, 1988.

Illustration: Le musée d’Orsay, photographie anonyme.

  1. Eh bien Thomas Bernhard avait tort dans sa charge provocatrice, ( ce qui ne veut pas dire que sa fonction catharsique soit inutile), mais il a tort, particulièrement sur le Musée de Vienne.
    Certes, la collection des Habsbourg est pour le moins éclectique, mais c’est justement ce qui en fait le charme. Nulle part au monde, par exemple, l’accès à Brugel est aussi sensible et riche: Jeux d’enfants, la tour de Babel, la noce campagnarde, le cycle de saisons, le portage de croix, l’oiseleur, etc…ah oui, également le combat entre carême et carnaval…Une quinzaine de tableaux qu’on approche et interroge jusqu’à pénétrer leur univers…Et puis, tout le reste, au détour, une dentelière de Vermer, et, sublime, un portrait de la mère de Rembrandt, sans compter son autoportrait dont on ne peut détacher le regard car c’est notre regard à nous que nous croisons en ce miroir, nous qui passons en ce lieu.

  2. Construire les villes à la campagne, je croyais que c’était une idée de Alphonse Allais ? Mais souvent les bonnes idées sont partagées…

    On pourrait installer aussi les musées à la campagne : ou décréter que telle campagne est un musée (c’est un peu le cas, par exemple, de la vallée des Merveilles…).

    Le Salon de l’agriculture, lui, restera désormais comme le musée d’une apostrophe célèbre : ne pas confondre Matignon avec maquignon !

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Patrick Corneau