echecs.1201794059.jpgAppelons-le Georges. Georges est paralysé par la complexité des choses. S’il était écrivain, il mettrait dix ans à composer la première page d’un hypothétique roman: ce serait un velléitaire de la plume. Car on peut être inintelligent par excès de conscience, vertige devant tous les possibles du monde. Bref, Georges est une âme tourmentée. Chacun des gestes, chacune des actions qu’il entreprend s’habille aussitôt de la lourdeur d’un traité de métaphysique allemande. Toute conversation vacille sous la chappe de plomb d’un fastidieux didactisme. Si Georges était ingénieur aéronautique, ses avions resteraient cloués au sol, tandis qu’il passerait son temps à relire toute l’histoire de l’aviation depuis Léonard de Vinci pour être sûr de n’avoir rien oublié; s’il était professeur, il mettrait dix heures à corriger chaque copie, terrorisé par la crainte de commettre une injustice et se posant des questions de neuropsychiatre sur les processus de l’intellect chez l’adolescent en interaction avec les traumatismes subis dans la petite enfance, etc. Si… Mais ces questions ne se posent pas, car Georges vient de prendre sa retraite. À présent, il a tout son temps: quand il mange une côtelette, il imagine toute la chaîne du vivant, il visualise le processus de la filière, et il ne faudrait pas grand-chose (peut-être la visite des témoins de Jéhovah qui sont allés voir Jean-Pierre) pour que Georges devienne végétarien. Quand il sort en voiture avec Arlette pour aller faire les courses, cela devient une entreprise redoutable: il faut penser à tout, à la mécanique compliquée du moteur, aux risques de panne, à l’accident (il garde un ciseau dans la boîte à gant pour sectionner la ceinture au cas où il serait bloqué dans l’habitacle), à la place de parking peut-être introuvable, au jeton pour le caddy; car Georges est aussi du genre soucieux: il projette toujours dans l’avenir d’imaginaires ennuis. C’est sans doute pour cela qu’il a passé quarante ans à accomplir jour après jour la même tâche dans la même administration. Chef du contentieux ou quelque chose comme ça. C’est le besogneux du genre psychorigide, ou perfectionniste contemplatif. Autrefois, on en faisait des moines.
Je ne vous dirai pas ce qui préoccupait Georges le dimanche 6 mai 2007.

Illustration: photographie de René Maltête

  1. Dom A. says:

    Comme d’habitude, une telle lucidité me tue, aussi vais-je aller faire immédiatement une promenade au grand air, en m’efforçant de ne penser à rien.

    Bonne promenade au grand air et sous un beau soleil (n’oubliez pas comme l’a dit R. Char que “la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil”)  🙂

  2. motpassant says:

    Je ne savais pas que vous me connaissiez !
    Mais qu’allez-vous penser de mon commentaire ? J’aurais dû y réfléchir à deux fois. peut-être n’allez-vous pas comprendre que j’ai essayé de mettre de l’humour ? Mais est-ce de l’humour ? Ne vais-je pas vous choquer ? Ou peut-être allez-vous vous moquer de moi ?
    Qu’est-ce que je fais ? Non il faut dire que fais-je ? Je ne devrais peut-être pas envoyer ce commentaire ?
    Aidez-moi !

    « Les personnages et les situations de ce billet étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite. » 😉

  3. Solange says:

    Je ris beaucoup mais je ne suis pas certaine que ce soit « bien  » parce que je vous trouve quand même un peu .. un peu … je cherche le mot exact, juste et parfait. J’espère avec impatience le prochain portrait, mais féminin cette-fois. Je suis curieuse de savoir quelle petite robe noire vous allez lui couper. Bien ajustée avec une petite bretelle de chaque côté. Et une grande fermeture éclair. Et peut-être un collier de perles.

    Patience Solange, le premier portrait féminin de ma galerie de « types contemporains » est prévu pour la semaine prochaine… 🙂

  4. MAHO says:

    Je ris des lèvres mais pas des yeux.

    « Appelons-le Georges » me ressemble beaucoup.

    C’est un grand frère, quelqu’un de ma famille. Vigie, Janus, tourmenté, trop

    lourd et trop pesant, claudiquant dans le monde.

    Comme moi il rêve d’être la plume au vent, il rêve

    d’instants et d’alizées, et de la mer toujours recommencée du poète,

    il rêve d’être le désir même,

    léger, léger, et pure épure ……….

  5. La Bruyère n’est pas loin, la rose non plus : je pensais à l’ancien compagnon de Ségolène Royal qui a mis un certain temps à comprendre de quoi il s’agissait dans cette histoire racontée par Nicolas Sarkozy lors d’une soirée au Crif.

    Heureusement, un beau portrait de femme en pied a suppléé la léthargie hollandaise. Il vous reste à la peindre…

  6. danielou says:

    Sans savoir qui se cache derrière Georges , je le trouve terriblement indécis déroutant. Tout ce qu’il envisage échoue. Il est parfaitement ridicule, peureux. On ne voudrait pas lui ressembler.

Répondre à danielouAnnuler la réponse.

Patrick Corneau