rolanddevereaux.1200231897.jpgIl y avait le principe de précaution qui déréalise toujours davantage nos vies en les « ouatant », en « floutant » tout sentiment de responsabilité, il faudra désormais compter avec le principe de division. Diviser un acte simple en une multitude de micro-actes pour vous donner l’illusion d’avoir tous les choix possibles et, donc, de satisfaire à vos désirs les plus inattendus, les plus futiles.
Vous avez l’intention de faire un voyage en train. Vous prenez votre téléphone. La voix électronique, fausse et parfaite, a réponse à tout: « Vous voulez connaître un horaire, vous voulez acheter un billet, vous informer de « l’état du trafic »… Si vous voulez connaître un horaire appuyez sur 5, si voulez voyager entre 8h 42 et 16h 54 appuyez sur 2 sinon appuyez sur 1, si le trajet est national appuyez sur 7, si le trajet est international à l’exception des pays de l’Union européenne, appuyez sur 7, sinon appuyez sur 3, s’il concerne l’Orient-Express n’appuyez pas, si votre voyage concerne un départ de Vierzon
entre 9h 56 et 16h 23 à destination de Strasbourg appuyez sur 6, si vous souhaitez un train direct appuyez sur 2, ou si vous croyez préférable de changer, vous avez le choix entre un changement à Brest à 10h 03 ou un changement à Barcelone à 17h 12, dans ce dernier cas appuyez sur 9, si vous voyagez assis appuyez sur 3, si vous voyagez en couchette appuyez sur 2, si vous voyagez debout appuyez sur 4, si vous bénéficiez d’une réduction appuyez sur 9, si vous avez eu entre 87 ans et 96 ans au cours des trois derniers mois de l’année écoulée, et si néanmoins vous voyagez debout dans la fraction du trajet comprise entre Barcelone et Strasbourg étant entendu qu’entre Barcelone et Vierzon les places réservées aux voyageurs debout dont l’âge se situe entre 87 et 96 ans sont déjà toutes vendues… »
Perdu dans le dédale des chiffres et des choix, vous aurez bientôt perdu toute envie de voyager. Peut-être aurez-vous la folie de persévérer et irez-vous dans une agence devant une vraie dame qui vous vendra le billet tant désiré?
Ayant recours à
l’arithmétique du plus petit quotient possible qui divise, restreint, fragmente, et enfin détruit, notre époque travaille discrètement, invisiblement, pernicieusement à nous décourager, nous déprimer, bref à ratatiner nos vies.
A l' »infiniment petit » pascalien a succédé la sensation quotidienne de « l’infini dérisoire »…

Illustration: « Division tree », photographe de Roland Devereaux

  1. Diviser pour régner : la mathématique politique, visée par cette maxime, est devenue le lot quotidien. Chaque citoyen ou consommateur passe son temps à taper des chiffres, des codes, il est lui-même un numéro.

    La révolte peut-elle faire nombre ?

  2. solange says:

    c’est vrai, c’est comme ça maintenant, mais il m’en faudrait plus pour me déprimer, me décourager, ratatiner encore plus ma ratatine de vie, et surtout cela ne m’enlèvera jamais l’envie de voyager ; et j’ajoute que tous ces chiffres à composer avant d’obtenir un renseignement, cela m’apprendrait presque à être patiente … ;-)))

  3. oceania says:

    « Division tree » a pris racine dans un triangle.
    Association spontanée avec le théorème de Pythagore qui a servi à bâtir les cathédrales. C’était pas mal, ces temps-là …

    Dominique,
    Que va-t-on faire de cette sourde révolte qui gronde ?

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Patrick Corneau