vitusleestandingoutfromthecrowd.1199028216.jpgUne amie m’avait convaincu de l’accompagner à son cours de théâtre. Quand nous sommes arrivés le maître s’entretenait avec les élèves groupés autour de lui. Lorsqu’il eut fini de donner ses consignes, il s’est approché de nous, nous a tendu la main d’un geste naturel et nous a demandé d’une voix sûre d’entrer nous aussi dans le cercle pour un « exercice d’échauffement ». J’étais embarrassé. Je trouvais cette situation plutôt comique mais je me rendais compte que mes réticences l’étaient encore plus et que les participants risquaient de croire qu’ils m’effarouchaient. Je ne suis tout de même pas si timide que cela, me suis-je dit, et je me suis glissé entre deux élèves. Le maître, toujours au centre du groupe, nous apprit un vieux chant de marin (breton). Il récitait une des paroles et le groupe devait la répéter à voix haute, en la déclamant d’abord, en la chantant à l’unisson ensuite. Je me suis tu au début, mais il a arrêté le « chœur » dès les premières mesures:
– Non, ça ne va pas; tout le monde doit chanter. Bien que ces mots qui me visaient m’aient presque fait rougir, je n’ai pas desserré les lèvres quand ils ont repris.
Alors il a insisté, sans énervement, sur un ton qui se voulait sympathique:
– Il y a quelqu’un qui ne veut pas chanter. Il est fâché. C’est sans doute nous qui l’avons fâché, autrement pourquoi ne chanterait-il pas? Demandons-lui tous ensemble et vous verrez qu’il acceptera.
Non, non, tout mais pas ça. Je ferai ce qu’ils voudront, je chanterai puisqu’ils y tiennent, je ferai des bouffonneries s’il le faut, pourvu qu’ils cessent tous de me fixer comme un mauvais élève surpris en train de copier et mis au coin devant toute la classe.
J’ai chanté.
Relatant cet épisode, j’éprouve une certaine gêne, injuste d’ailleurs, car – pourquoi ne pas l’avouer? – ce fut une heure agréable, une heure de relâche (le fameux « lâchez tout »), pendant laquelle j’ai fait, consciemment, mille pitreries, mais des pitreries irrésistibles, plus fortes que mon « esprit critique », plus fortes que ma sacro-sainte peur du ridicule.
Au milieu de la pièce, une mèche de cheveux sur les yeux (il hochait la tête pour marquer le rythme), un large sourire illuminant son visage,
le maître nous encourageait à jouer le jeu jusqu’au bout.

(A suivre…)

Illustration: photographie de Vitus Lee

  1. Danalia says:

    Quelle situation gênante… J’en connais qui n’auraient pas ouvert la bouche ! Ce n’est pas si facile de lâcher ses inhibitions ou sa peur du ridicule ; et l’expérience aurait pu devenir traumatisante. En tant que prof, je ne crois pas que j’aurais obligé quelqu’un de cette façon. Faire le pitre était une bonne manière de s’en sortir…

  2. oceania says:

    Comme vous décrivez bien cette situation…!
    J’aime votre façon de sauter par-dessus votre ombre.
    J’attends la suite.
    Illustrera-t-elle le dégel des arbres…?
    Même de celui qui est tout petit séparé des autres ?

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Patrick Corneau