flaubert.1201108410.jpgFatigué, blasé, vieilli, Frédéric Moreau, l’anti-héros de L’éducation sentimentale qui a demandé le bonheur de sa vie à l’amour, comme son meilleur ami l’a demandé à l’ambition, repasse un jour avec cet ami leurs deux vies d’hommes, et après avoir fait le compte de leurs illusions, souillées dans les compromissions de l’amour et de l’ambition, ils avisent tout à coup dans leurs souvenirs l’épisode de la visite au bordel de la Turque, et après avoir évoqué ce fiasco, ils concluent par ce mot de la fin (qui est la fin du livre) :
« ‘C’est là ce que nous avons eu de meilleur!’ dit Frédéric. ‘Oui, peut être bien? C’est là ce que nous avons eu de meilleur!’ dit Deslauriers. »
Je ne vois ici rien de plus exemplaire de ce qu’on appelle la saudade dans la culture lusitano-brésilienne: le souvenir d’avoir connu le bonheur dans des époques lointaines, qui ne reviendront plus et la mélancolie qu’on en éprouve. Avec cette particularité chez les deux personnages flaubertiens que « ce que nous avons eu de meilleur » ce n’est pas le rêve de l’expérience érotique (qui n’a pas eu lieu) mais le souvenir qui en reste.

A suivre, cette semaine, l’excellente série « Flaubert, l’antidote » sur France Culture, émission « Les nouveaux chemins de la connaissance » par Raphaël Enthoven (du lundi au vendredi de 19h30 à 20h).

Illustration: couverture de L’éducation sentimentale dans la collection Folio chez Gallimard.

  1. Thanelkc says:

    C’est tout sauf de la mélancolie romantique !
    Cette citation est la plus pure antiphrase possible, un élément de l’ironie flaubertienne, de la « Blague Supérieure » comme il aimait l’appeler. C’est l’accomplissement de la médiocrité ; par cette phrase, les héros annihilent tout le roman puisque l’évènement de la Turque se déroule avant le début de l’oeuvre, et donc finalement, toute l’histoire amoureuse de Frederic est renvoyée au néant. Et leur « meilleur souvenir », c’est précisément une non-action puisqu’ils n’ont finalement rien fait ; c’est à l’image de la vie de Frédéric : un néant rêveur, qui ne se concrétise jamais dans le réel. Ces deux-là, qui viennent juste de conclure qu’ils ont raté leurs vies, se complaisent dans la médiocrité la plus gluante avec ce faux mélancolisme. C’est une pique ironique fatale au romanesque, une attaque terrible, on ne peut pas passer à côté. Bref, ça suinte la médiocrité et l’ironie, la « mélancolie » romantique surjouée, pour mieux la détruire, comme Flaubert adore le faire (cf. Mme Bovarie l’épisode des Comices, ou dans l’Education Sentimental l’adieu de Mme Arnoux qui est un ramassis de clichés grotesques du romanesque).

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Patrick Corneau