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Il fallait bien un seigneur de la chanson, et surtout un poète, pour inaugurer en ce 1er novembre cette nouvelle rubrique audiotextovisuelle consacrée aux chansons, musiques, images autour de ce thème pas nécessairement triste, ni morbide, ni décadent qu’est la mélancolie. Certes avant d’être un topos de la littérature, de la musique ou des arts, avant d’être des mots dans un poème, des sons dans un aria, des formes sur un tableau, on ne saurait oublier qu’elle a été, dès l’origine, sous son nom grec de melaina cholè, une maladie du corps et de l’âme.
La mélancolie est ambivalente, elle peut être créatrice et jeter des ponts entre les disciplines, entre les hommes. Si ce n’est une compensation, c’est peut-être la promesse d’une consolation. Il y aura donc du sublime et de l’éternellement beau, du délicieusement nostalgique, de l’authentiquement « vintage » et de l’indiscutablement
« kitsch » dans cette anthologie subjective et partielle puisque inachevable!

La Mélancolie
par Léo FERRÉ (1964)

La mélancolie
C’est un’ rue barrée
C’est c’qu’on peut pas dire
C’est dix ans d’purée
Dans un souvenir
C’est ce qu’on voudrait
Sans devoir choisir

La mélancolie
C’est un chat perdu
Qu’on croit retrouvé
C’est un chien de plus
Dans le mond’ qu’on sait
C’est un nom de rue
Où l’on va jamais

La mélancolie
C’est se r’trouver seul
Plac’ de l’Opéra
Quand le flic t’engueule
Et qu’il ne sait pas
Que tu le dégueules
En rentrant chez toi
C’est décontracté
Ouvrir la télé
Et r’garder distrait
Un Zitron’ pressé
T’parler du tiercé
Que tu n’a pas joué
La mélancolie

La mélancolie
C’est voir un mendiant
Chez l’conseil fiscal
C’est voir deux amants
Qui lis’nt le journal
C’est voir sa maman
Chaqu’ fois qu’on s’voit mal

La mélancolie
C’est revoir Garbo
Dans la rein’ Christine
C’est revoir Charlot
A l’âge de Chaplin
C’est Victor Hugo
Et Léopoldine

La mélancolie
C’est sous la teinture
Avoir les ch’veux blancs
Et sous la parure
Fair’ la part des ans
C’est sous la blessure
Voir passer le temps
C’est un chimpanzé
Au zoo d’Anvers
Qui meurt à moitié
Qui meurt à l’envers
Qui donn’rait ses pieds
Pour un revolver
La mélancolie

La mélancolie
C’est les yeux des chiens
Quand il pleut des os
C’est les bras du Bien
Quand le Mal est beau
C’est quelquefois rien
C’est quelquefois trop

La mélancolie
C’est voir dans la pluie
Le sourir’ du vent
Et dans l’éclaircie
La gueul’ du printemps
C’est dans les soucis
Voir qu’la fleur des champs

La mélancolie
C’est regarder l’eau
D’un dernier regard
Et faire la peau
Au divin hasard
Et rentrer penaud
Et rentrer peinard
C’est avoir le noir
Sans savoir très bien
Ce qu’il faudrait voir
Entre loup et chien
C’est un désespoir
Qui a pas les moyens
La mélancolie

Illustration: « Autumn melancholy », photographie d’Andrew Maidanik (cliquer sur la photo pour entendre la chanson)

  1. Anioshka says:

    Allez juste pour rajouter quelques lignes de mélancolie dans l’anthologie avant d’être « tout seul peut-être mais peinard » : »Rien ne suscite plus grande mélancolie que l’idée de ne pas connaître tous les êtres qu’on aurait pu aimer, qu’on va mourir avant d’avoir pu les rencontrer. » de C Fuentes

  2. totem says:

    Justement hier je fredonnais du Léo Ferré sur un autre registre que la mélancolie, mais du Léo dans toute sa splendeur « L’âge d’Or ». Extrait:
    « Nous aurons la mer à deux pas de l’Etoile les jours de grands vents »
    « Nous aurons l’hiver avec une cigale dans ses cheveux blancs »

  3. Sergio C, says:

    je fréquente souvent la mélancolie le soir en fumant un cigarillo vanillé sous mon figuier.
    On est bien tout les deux, on prend le temps et on anticipe. Elle m’inspire doucement.

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Patrick Corneau