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N’avez-vous jamais remarqué comment dans les familles le souvenir d’un oncle, d’une tante, d’un lointain cousin, disparu et presqu’oublié survit chez les derniers témoins sous une formule aussi courte que brutale: « Mon frère n’a jamais eu de santé ». La seule évocation du nom du défunt amène immanquablement et d’un ton tranchant, un « Mon pauvre frère n’a jamais eu de santé » (le « pauvre » renforçant la commisération). La chose est entendue. Toute une vie a été vécue, avec ses émois, ses découvertes, ses espérances, ses joies et ses douleurs, son œuvre en somme, pour que quelqu’un décrète in fine, comme on tire un trait sous une addition: « il n’a jamais eu de santé ». Pauvres morts qui attendent que nous voulions bien tourner vers eux les yeux et la mémoire, et déchiffrer avec un peu d’aménité les signes que nous adressent leurs existences! Vous vous demandez alors quel trait dérisoire, improbable, vos descendants vont retenir dans la piètre phrase qui résumera à elle seule le mystère que vous croyiez être.
On ne peut jamais comprendre les êtres, mais on peut essayer de les raconter. Une phrase n’y suffit pas.

Illustration: « Lucky Family », photographie de Yang Zhenzhong.

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Patrick Corneau