Il est extrêmement rare qu’un être humain manifeste de l’attention à votre égard. A vous. Pas seulement à l’intérêt qu’il vous porte. Ne vous considère pas uniquement comme un miroir compréhensif de ses petites misères, mais comme une énigme, une histoire forcément impossible à connaître. Comme disait Freud à la fin de sa vie, nous sommes des îles flottant sur un monde d’indifférence. Ainsi en va-t-il de la vie en société. Certains s’en sont émus et l’ont refusé, ainsi Simone Weil: « Arriver à comprendre totalement que les choses et les personnes existent. Parvenir à cela, ne serait-ce qu’une fois avant de mourir; c’est la seule grâce que je demande*. » Et déjà Diderot: « Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi avec un caractère doux et facile, de la gaieté et des connaissances, j’étais si mal fait pour la société. C’est qu’il est impossible que j’y sois comme avec mes amis et que je ne sais pas cette langue froide et vide de sens qu’on parle aux indifférents. J’y suis silencieux et indiscret**. » Franz Kafka enfin, essaie une explication: « Nous sommes pareils à des enfants perdus dans la forêt. Quand tu es devant moi et que tu me regardes, que sais-tu de mes douleurs et que sais-je des tiennes? Et si je tombais devant toi, si je pleurais et te parlais, en saurais-tu davantage sur moi que sur l’enfer, quand on te dit qu’il brûle et donne des frissons?*** »
*lettre à Joë Bousquet.
**lettre à Sophie Volland.
***lettre
à Oscar Pollak.

Illustration: « Islands in the Mist », photographie d’Adam Burton

  1. alainlecomte says:

    merci, lorgnon mélancolique, d’une part pour les photos, et d’autre part pour ces citations de Simone Weil, Diderot et Kafka, que je ne connaissais pas et qui sont des propos d’une grande force. Je les retiens!

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  3. totem says:

    « -aime-t-on jamais?
    -Le temps fait disparaître parfois cette angoisse, le temps seul. On ne connait jamais un être, mais on cesse parfois de sentir qu’on l’ignore…Connaître par l’intelligence, c’est la tentattion vaine de se passer du temps. »
    Gisors répond à Ferral dans la Condition humaine d’André Malraux.

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Patrick Corneau