Sous prétexte d’efficacité les publicitaires ont fini par pénétrer les domaines les plus intimes de nos vies. Il n’y a pas de clip télévisé qui ne mette en situation la moindre de nos émotions à travers des saynètes empruntées, calquées sur notre quotidien le plus prosaïque. Jour après jour, heure après heure nous voyons défiler nos émois, passions, mimiques, cris, pleurs, rires, attentes, craintes, fureurs… Bref, le spectre entier de nos émotions, colonisé sous couvert de nous vendre un pot de yaourt, un crédit immobilier ou une soupe « paysanne »! De ces emprunts quotidiens et multiples à ce qui fait le fond de notre humanité s’ensuit une mise à distance, une artificialisation et, pire, une « ringardisation » des trésors de sentiments, du capital d’humeurs que nous sommes. De proche en proche, tout a été colonisé, contaminé, vampirisé. Nous ne pouvons plus sourire ou pleurer, nous laisser toucher par une musique ou un parfum, le goût d’un fruit, nous adonner à la contemplation d’un tableau ou nous jeter au cou d’un proche, sans sentir dans notre dos, l’autre: le cliché du publicitaire qui rabaisse, désenchante, faisande en les singeant nos gestes les plus spontanés. Le procédé est insidieux car la séduction est imparable et les dégâts immenses. Impossible de nous émouvoir, nous indigner sans être saisis du soupçon que faisant cela nous sommes des marionnettes, des chiens de Pavlov, conditionnés, « formatés ». Ce qui était élan se fige dans le sarcasme, la dérision, tant la tête se souvient, malgré elle, des images kitches, insignifiantes qui lui ont été inoculées*. Grâce à ces puissants « communicants » des pans entiers de nos vies tombent, s’affadissent, se déréalisent. Etonnez-vous alors de voir les générations élevées dans cet « hors-sol émotionnel », tomber dans l’indifférence, le découragement, la négligence envers soi-même quand ce n’est pas une violence désespérée, parfois suicidaire…

*Que dire de cette chipie dénaturée pour les besoins mercantiles d’une marque de charcuterie-traiteur qui nous assène des « Elle est pas belle la vie? » avec des airs pincés de petite madame…

Illustration: « Emotions », photographie de Vladimir Lestrovoy

  1. Et c’est ainsi que le quotidien devient un parcours du combattant : dans la rue, détourner le regard à l’approche d’un panneau d’affichage, slalomer entre les distributeurs de prospectus et autres gratuits, élever le regard au-dessus des enseignes caléidoscopiques (le ciel est encore indemne) ou le fixer résolument sur le trottoir, éviter 90% des magasins et leur musique atroce, s’enfoncer ses écouteurs dans les oreilles pour écouter la bande son de son choix, dépasser en apnée telle boulangerie qui diffuse des parfums artificiels de viennoiserie, repérer les possibilités de pauses esthétiques sur un trajet ( musées, librairies…) ; mais encore détecter les plages publicitaire et éteindre la radio au bon moment, et surtout, faire don de sa télé à un voisin (projet sans cesse reporté !)
    Bref, s’inventer sa petite sphère individuelle de survie (une autre façon d’être hors-sol?)
    En un mot : ré-sis-ter !

  2. totem says:

    J’ai banni la TV de mon domicile depuis plus de dix ans et ne m’en porte que mieux, nos fils ont grandi pratiquement sans télé. C’est la plus grande entreprise de dercevelage existante, la meilleure preuve en est que les acteurs des différents scrutins électoraux en ont largement abusé en 2002 (oh!combien) et cette fois encore en 2007, merci Mr. Bouygues copain de notre pas très cher président.

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Patrick Corneau