Les nombres, la numérotation et le calcul (la « computation ») ont envahi nos vies – l’informatique avec la numérisation constitue la pointe la plus avancée de ce processus. Les sciences physiques et naturelles, tout comme les sciences dites « humaines » s’efforcent de quantifier chaque aspect du sensible. La sociologie qui n’est pas en reste traite d’un homme abstrait tout entier dans la projection chiffrée que lui livre les données statistiques.
La fiction produite sur les esprits est assez forte pour qu’on s’en remette à elle dans la conduite de nos existences. En économie bien sûr, mais aussi en politique comme on vient de le voir avec les récentes élections où les sondages ont dicté leur loi et, vraisemblablement, orienté les esprits… Bientôt viendra le « matricule » total qui synthétisera nos caractéristiques les plus intimes et les évènements les plus singuliers de nos vies (adresses, emplois, maladies, particularités physiques, code génétique*, etc.).
Dans ce chiffrage forcené et totalisant (pour ne pas dire totalitaire) nous sommes à l’opposé de la nomination ou de la dénomination (ce que fait traditionnellement le baptême dans le christianisme). Adam dans la Bible, nomme êtres et choses, c’est l’aube du monde. Le petit enfant fait de même avec son abécédaire.
Dénommer ennoblit. Enumérer, ou plutôt dénumérer rabaisse.
Aucun individu n’est réductible à un numéro, aucune vie à un matricule – sauf dans l’abjection d’un camp.
Cette soumission des individus au nombre a des conséquences comme nous l’enseigne (encore) la Bible: pour punir David d’avoir fait le dénombrement de son peuple, Dieu envoie la peste sur Israël (Samuel, 2, 24).

*Lire à ce sujet l’énergique résistance du philosophe Giorgio Agamben à l’identification biométrique.

Illustration: « Computing », photographie par Dave St.Germain

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Patrick Corneau