Au large de la Namibie, un homme et une femme vivant dans une solitude monacale depuis dix-sept ans sur des îlots qui n’ont rien de paradisiaque, et dont les seuls voisins sont des colonies d’oiseaux (fous du Cap et cormorans), se confient à la caméra de Thalassa*. Vivant onze mois par an dans ce huis clos rocailleux, ces Robinsons modernes ne se plaignent pas de la solitude car le monde dans lequel ils vivent, fait de vent et d’embruns, est, disent-ils, réel. Ce qui leur semble « une sorte de fiction » est ce qui leur parvient à travers les crachotements de leur petit transistor: l’Irak, le Liban, etc. Ils ne parviennent pas à croire à ce théâtre d’illusions… La femme doit partir en stage sur le continent pour une quinzaine de jours, elle est angoissée à l’idée d’avoir à marcher dans la ville « avec des chaussures », n’est pas sûre de pouvoir se repérer, ni de réussir à se lever à l’heure pour « aller au bureau »…
« Ici, on se sent un peu comme Adam et Eve, les seuls habitants du monde » déclarent-ils. Oui, ils habitent le monde et peut-être sont-ils véritablement les seuls et, qui sait, les derniers à vivre dans un univers qui est simplement . Soudainement m’est revenu à l’esprit le sens originel du mot « habiter » emprunté au latin habitare: « avoir souvent », « occuper ». Est-ce à dire que nous, citadins dénaturés, nous n’habitons plus cette Terre? Elle n’est plus notre « demeure », nous ne faisons que passer, nous glissons à sa surface, nous l’effleurons…

*France 3, vendredi 4 mai 2007.

Illustration: « Azores islands » photographie de Michal Kvarda

  1. Ceci me rappelle un dialogue étonnant entre le journaliste Pierre Weil et le jardinier Alain Baraton, un samedi matin récemment sur France Inter.
    Pierre Weil demande à A. Baraton, sur un ton admiratif, quel peut être cet oiseau au chant harmonieux d’une incroyable richesse, qui chante très tôt le matin sous sa fenêtre. C’est « magnifique…ça monte dans les aigus pour redescendre dans les graves! » Il y a même des variations de rythme.
    A. Baraton, ne pouvant soupçonner, je suppose, Pierre Weil de ne pas connaître le chant du merle, reste coit, puis évoque prudemment une mesange…
    Samedi suivant, une journaliste, après avoir enregistré des chants d’oiseaux dans les jardins parisiens, les fait écouter à Pierre Weil pour qu’il reconnaisse le chant de son fameux oiseau. Et Pierre Weil de s’écrier tout à coup : « Oui, c’est ça! C’est celui-là!….c’est merveilleux! ».
    « Mais votre oiseau, c’est un merle… » répond tranquillement A. Baraton…

  2. Ah, c’est magnifique! Presque anthologique… hélas!
    Célébrons le merle en « vrai » et en poésie.
    😉

    Un oiseau siffle dans les branches
    Et sautille gai, plein d’espoir,
    Sur les herbes, de givre blanches,
    En bottes jaunes, en frac noir.

    C’est un merle, chanteur crédule,
    Ignorant du calendrier,
    Qui rêve soleil, et module
    L’hymne d’avril en février.

    Pourtant il vente, il pleut à verse ;
    L’Arve jaunit le Rhône bleu,
    Et le salon, tendu de perse,
    Tient tous ses hôtes près du feu.

    Les monts sur l’épaule ont l’hermine,
    Comme des magistrats siégeant.
    Leur blanc tribunal examine
    Un cas d’hiver se prolongeant.

    Lustrant son aile qu’il essuie,
    L’oiseau persiste en sa chanson,
    Malgré neige, brouillard et pluie,
    Il croit à la jeune saison.

    Il gronde l’aube paresseuse
    De rester au lit si longtemps
    Et, gourmandant la fleur frileuse,
    Met en demeure le printemps.

    Il voit le jour derrière l’ombre,
    Tel un croyant, dans le saint lieu,
    L’autel désert, sous la nef sombre,
    Avec sa foi voit toujours Dieu.

    A la nature il se confie,
    Car son instinct pressent la loi.
    Qui rit de ta philosophie,
    Beau merle, est moins sage que toi !

    Le merle, Théophile Gautier, « Emaux er camées ».

  3. Il gronde l’aube paresseuse
    De rester au lit si longtemps

    Comme c’est bien vu!
    Merci, ce poème est très beau.

    Une question : que vont devenir ces générations hors-sol qu’on est en train de cultiver?
    Plus grave : vont-ils réussir à ir-réaliser ce monde?

Répondre à lorgnonmelancoliqueAnnuler la réponse.

Patrick Corneau