Jean-Philippe Domecq déclarait qu’ »on voit tout quand on n’est jamais chez soi. » Cette morale antipascalienne* du voyage peut avoir des conséquences inattendues selon le regard et le tempérament du voyageur. Ainsi, lorsque Paul Morand découvre les prémisses de la mondialisation en « homme pressé » de 1925, c’est la fin d’une époque – la sienne – qu’il constate, aveugle aux promesses de celle qui vient. Quand ses tours du monde prennent fin, l’inventaire avant liquidation est prononcé, l’écrivain-diplomate est mûr pour Vichy. Aussi ne peut-on s’empêcher d’interroger les liens existant entre voyage, morale politique et écriture. Le fameux style « maigre » et sa légèreté ironique opposée à la pâte du lyrisme sentimental, ne seraient-ils pas l’expression d’un manque foncier de générosité? C’est l’interprétation qu’avançait Bernard Frank dans une de ses chroniques de 1959: « les phrases sont des tiroirs qui se ferment avec un bruit sec. Un non cinglant, n’en parlons plus ». Le voyage a provoqué un resserrement, une crispation sur les hantises, les phobies les plus nauséabondes – secrétant, certes, le meilleur sur le plan littéraire et le pire politiquement**.
Comme disait Maurice Dekobra, voyager pour quelques-uns « c’est changer son chagrin d’eau ».

* »Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos, dans une chambre ». Pensées 139 (éd. Brunschvicg).
**Ainsi George Steiner déplorait « cette injustice kafkaïenne: pourquoi Dieu a-t-il donné autant de talent à la droite? »

Illustration: Paul Morand par Jacques Emile Blanche

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Patrick Corneau