Il est curieux de constater que dans le thème de la mélancolie, en peinture, la plupart des personnages se tiennent la tête penchée, la main sur la joue. La Mélancolie de Dürer en est l’archétype: l’attitude du personnage féminin, dont la tête penchée s’appuie sur le bras gauche, est sans doute d’une importance décisive pour l’établissement de cette filiation. Un périple pour en faire la généalogie commencerait dans l’Antiquité avec une stèle funéraire du IVe siècle avant Jésus-Christ où un homme assis contemple l’horizon la tête appuyée sur sa main droite. L’image est fixée depuis plus de 2000 ans, de ces hommes et de ces femmes tête penchée, posée sur la main, regard pensif ou désolé, résolu ou indécis. C’est bien la figure obligée de l’iconographie mélancolique, mais penchée sur quoi? Le vide? L’exil? La mort?
Cette réflexion m’est soudain venue à l’esprit ce matin en regardant les passants dans la rue: tous ou presque, avaient la tête penchée sur le côté, l’air absent, le regard étrangement fixe. Acédie? Passivité procédant d’un mal profond, qui fait perdre le sens de la vie et des choses? Désoeuvrement du génie affrontant le grand destin, la connaissance, les gouffres, ou simplement la folie douce du regret et de l’amour?
Non, rien de tout cela. Un brusque « téou? » me révéla l’ampleur de ma méprise: entre la main et la joue se lovait un… téléphone portable.

 

Illustrations: (haut) « Marie-Madeleine », 1630-1635, Francesco Furini – Whitney Museum of American Art, New York, (bas) « Big Man », 2000, de Ron Mueck, résine de polyester pigmentée sur fibre de verre, Hirshborn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington.

 

  1. totem says:

    Le penseur de Rodin est-il mélancolique ? il ne penche pas la tête mais la soutient du dos de sa main, songeur ou mélancolique, peut être que l’un ne va pas sans l’autre. Je pense souvent à la statue de Rodin, lorsque pensif et reposé je suis assis sur…la lunette des toilettes.

  2. Tony Pirard says:

    Par parler en mélancolie,La Fontaine disait…

    « La mort ne surprend point le sage;
    il est toujours prêt à partir,
    S’étant su lui-même avertir
    Du temps où l’on se doit résoudre à ce passage »

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Patrick Corneau