Samedi dernier je suis allé au Salon du Livre Porte de Versailles où se tenait récemment le Salon de l’agriculture. Visite comme lecteur (et un peu aussi comme auteur). J’espérais trouver encore un peu de paille, quelque odeur laissée par cette grande arche de Noé où nos amies les bêtes « faisaient l’ange » sous la lumière artificielle et l’émerveillement de citadins dénaturés. Non, pas même une odeur de pâte à papier, les auteurs avaient remplacé les vaches: ils ne regardaient pas passer les trains mais des badauds qui défilaient dans les allées, pressés, l’air affairé ou l’allure nonchalante, voire indifférente. Parfois l’un de ces « amoureux des livres » s’écartait du flot et venait flatter le museau d’un auteur: le regard descend vers le titre du livre, remonte avec un sourire narquois et puis… rien, on s’en retourne vers le flot. On s’écrasait autour des « majors » de l’indutrie culturo-alimentaire, attroupement aussi autour du stand des livres miniatures… On me dit qu’un des best-sellers du Salon est le livre d’une Italienne, docteur en philosophie: Mon chat est-il de droite ou de gauche? Importantissime par les temps qui courent… Une chose est sûre, je n’ai pas vu de défilé de moutons politiques, même si les présidentiables nous ont mitonné des « livres-programme » d’où la culture, oh pardon, « la bonne volonté culturelle » est désespérément absente ou figure, au mieux, comme le strapontin de l’imposant chapitre « Education ».
C’est vrai, les gens qui se cultivent sont trop nombreux pour qu’on s’intéressent à eux…

Illustration: photomontage Le Lorgnon mélancolique

  1. Petit tour en tant que badaude vendredi.
    Une pluie froide et mouillante cueillait le visiteur à la sortie du métro et le poursuivait jusqu’aux portes du « salon ». Entrée, file d’attente, accueil par un dragon à lunettes isolé dans une guérite et chargé de vendre le droit d’entrée (5 euros).
    Plus loin, passage entre deux agents de sécurité à oreillettes qui, une fois n’est pas coutume, ne ressemblaient pas à la garde rapprochée d’un dictateur africain.
    Puis, à ma gauche, un débat en direct organisé par France Culture, sur « L’avenir du livre » ou quelque chose d’approchant. Certains intervenants autour du micro, effarouchés d’être ainsi exposés aux regards du public (zut, on n’est pas sur un plateau télé ici !), piquaient du nez sur leurs papiers.
    Passons, passons… Pas sûr qu’on aime « le lecteur », ici. Son parcours est balisé. Les sentes qu’il doit emprunter sont tracées. On ne va pas se laisser envahir. Qu’il mange ce qu’on lui donne en pâture. Qu’il voit ce qu’on lui donne à voir.
    Et tristesse de voir tous ces livres parfaitement rangés comme dans les catalogues Ikea, tristesse de n’être accueillie sur les stands que par des vendeurs de bouquins (mais où se planquent les éditeurs ?), tristesse de voir certains auteurs placés en tête de gondole, comme les promos du jour…
    Ah, les auteurs…je ne parle pas de l’auteur à succès, (une heure d’attente pour la dédicace de la BD pour 8 secondes d’échange pendant lesquelles le lecteur admiratif ne perçoit de l’auteur que le sommet de son crâne), mais de celui qu’on a placé seul à une table minuscule, coincé entre deux piles de ses livres, adoptant qui une mine de cocker, qui un sourire confis, qui un air supérieur.
    De toute façon, il se sent ridicule, gêné, et le lecteur-qui-n’a-pas-lu-son-livre est gêné qu’il soit ridicule. Alors quoi ? Que lui dire ? Comment échanger ? Alors on passe lâchement, en lui adressant un petit sourire de compassion.
    Vu aussi, vendredi, un homme en bleu marine au pas rapide, au teint bronzé, bouffi de fatuité, un homme important certainement car les photographes se sont précipités et dans les stands, les commentaires ironiques ont fusé. Le ministre de la culture, me dit-on.

    Bon, j’exagère un peu. Et je n’ai peut-être pas su voir les stands accueillants, les éditeurs chaleureux, les auteurs joyeux….
    Au retour, la pluie était toujours aussi froide.

    PS : Je n’y ai acheté aucun livre. Et toc !

  2. Bon. J’ai bien fait de ne pas y aller.
    Bien drôle et bien vu!
    Mon atelier d’écriture cet été, en pleine campagne jurassienne, dans un village de même pas 100 habitants, doit s’appeler « Ecriture aux champs ».
    Au milieu de la musique des vaches à clarines, les « ecrivants » saisonniers que nous sommes ne détonneront pas.
    Mais c’est sûr, il n’y aura personne pour nous flatter le museau.

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Patrick Corneau