Dans son émission « Répliques » du samedi 17 mars 2007 « Démocratie, information et représentation », Alain Finkielkraut recevait deux philosophes, Barbara Cassin (Google-moi, La Deuxième mission de l’Amérique, Albin Michel, 2007) et Daniel Bougnoux (La crise de la représentation, La Découverte, 2006). Extraits de la discussion :
Alain Finkielkraut : (…) L’articulation de la démocratie et des nouvelles technologies me paraît très inquiétante parce quelle est un fait irrésistible…
Barbara Cassin : Ce qui me rassure dans ce que vous dites, c’est que ce type de démocratie sur le Net, c’est d’un ennui profond. Moi, je ne peux pas lire les blogs, ça m’ennuie « passionnément »! Je ne peux pas lire les discussions qui s’en suivent… Du nul plus du nul plus du nul, cela n’a jamais fait que du nul! Aucune crainte à avoir. Autrement dit, pour moi la démocratie ne fonctionne pas sans paideia, c’est-à-dire sans éducation/culture/formation. On ne peut pas simplement dire: « voilà c’est moi que v’là », et puis cracher un peu de soupe, cela n’a aucun intérêt c’est tout! Et puis les gens se fatigueront, et on est même tous déjà fatigués… Les blogs prolifèrent et ce n’est pas grave, car ça prolifère dans quoi? Dans un espace qui n’existe pas pour changer quelque chose… Il y aura une sorte de correction naturelle et elle existe déjà, je crois. Si j’ai écrit Google-moi, La Deuxième mission de l’Amérique c’est pour attirer l’attention sur le fait que quand Google se pose en champion de la démocratie culturelle, il faut bien entendre que c’est une démocratie sans démocratie et une culture sans culture.
Alain Finkielkraut : (…) Il y a comme une volonté de reconnaissance de tous par tous, comme une projection du concept d’égale dignité de chacun sur le domaine de l’art et qui ne peut se faire qu’au détriment de l’art, parce que l’art enfin, ce n’est pas l’égale dignité de toutes les œuvres! Bien sûr que tous les individus sont également dignes de faire un blog, mais une œuvre ce n’est pas un blog, vous l’avez dit…
Barbara Cassin : Et même pas dignes de faire un « bon blog »!
Alain Finkielkraut : Oui, parce qu’on joue sur un autre registre, un registre visiblement de plus en plus difficile à entendre étant donné cette « hyperdémocratisation » des réflexes…

Question de l’auditeur de base* : quelle autorité (auctoritas) d’auteur (auctor: « celui qui accroit, qui fonde ») peut-on accorder à des « experts » (en fait des clercs, des universitaires acquis aux médias) si éloignés par leur habitus, leurs schèmes représentatifs (voire leurs préjugés) et leur pratique de ce dont ils parlent?

* Et accessoirement blogueur.

Illustration: photographie d’Oskar ‘t Hardt

  1. Posuto says:

    Edifiant. Cette vision sélective du talent, c’est celle de « l’être supérieur » qui, du haut de sa grandeur, juge, donne son aval, distribue les bons points et défend à quiconque le droit de se penser égal à lui-même. L »hyperdémocratisation » que décrit Finkielkraut ressemble à une maladie grave.
    C’est sûr que si n’importe qui s’arroge le droit d’être instruit, éclairé, supérieur, Finkielkraut perd sa patente, son commerce, ses béquilles…
    Ah. Je ne refuse de m’énerver un lundi matin. Mais quand même…ce genre de discours ne me pousse pas à la sérénité.

  2. Oui, vous dites haut et fort ce que j’ai ressenti! Dans ce dialogue, seul Daniel Bougnoux me semblait être mesuré, véritablement informé, ouvert et constructif (il est vrai que c’est un médiologue brillant, plus subtil même que le révérend Debray, le père fondateur de la discipline…)
    😉

  3. Oui, j’avais moi-aussi été stupéfié par les arguties pleines d’autosuffisance et ces pseudos arguments d’autorité de la part de Barbara Cassin et aussi de Finkielkraut. Du coup, j’ai invité Cassin à la rencontre des blogueurs qui aura lieu au Sénat samedi 31 mars… sans réponse à ce jour !

  4. Finkelkraut s’inquiète pour la démocratie.
    Il ne devrait pas puisqu’opposé à l’apprentissage de la démocratie en acte à l’école par des technniques pédagogiques genre Freinet il empêche en fait la naissance même de la démocratie dès l’école.
    Autant d’arrivisme et d’arrogance de ces nouveaux clercs pour arriver nulle part !!!

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Patrick Corneau