Deux femmes japonaises en tenue de pèlerin (blanc) cheminent le long d’une route du Hokkaido, elles font une pause et se désaltèrent avec leurs gourdes. L’une pousse un long soupir de contentement, ce « haaaa » que l’on expire du fond de la gorge et que les enfants aiment faire. D’où vient ce geste, cette détente vocalisée du corps qui transcende les âges et les cultures?

Différente est la ahité des choses dont parlait Claudel: « cela dans les choses qui fait ah! » et qui constitue dans la sensibilité poétique japonaise le « moment du haïku »: l’éclair de conscience (Ahness) où l’on saisit la mélancolie des choses dans ce qu’elles ont de transitoire et d’éphémère (la floraison des cerisiers, l’objet imprégné de wabisabi). Au Japon, déclare Jean Grenier « connaître le Ah des choses, c’est entendre le soupir que poussent les choses de la Nature lorsqu’elles prennent conscience à travers nous de leur précarité »*.

Le sens souverain des limites n’est pas l’apanage de l’orient, on en trouve une belle expression – presque pathétique, dans le Journal de Katherine Mansfield: « Chaque chose a son ombre… C’est une conscience tragique, je le sais. Mais nous affrontons la mort à travers la vie. Nous voyons la mort dans la vie comme nous la voyons dans une fleur fraîchement éclose. Que notre hymne soit pour la beauté de la fleur: nous la rendrons immortelle parce que nous savons. »

* Lexique, illustrations de Hadju, Fata Morgana, Fata Morgana, 1969.

Illustration: photographie Flickr.

  1. lignesbleues says:

    oui, excellent comme dit Sakmini ci-dessus. Que d’heures de lecture encore pour découvrir ce que vous avez écrit. Vos deux catégories principales sont très largement fournies. J’ai exploré le lexique et posé une ou deux questions sur le moteur de recherche, dont celle-ci sur le Japon et je ne suis pas déçue ! Je vais ajouter un lien vers cette note dans la petite note sur le Mont Fuji.

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Patrick Corneau